Recommandations de l’AIM sur la renégociation de l’ALÉNA

Recommandations de l’AIM sur la renégociation de l’ALÉNA

Dans ce document, l’emploi du masculin pour désigner des personnes n’a d’autres fins que celle d’alléger le texte.

Préambule

Dans ce document nous vous présentons quatre recommandations ayant le potentiel de rendre l’ALÉNA plus équitable, mieux équilibré et qui sera en mesure de créer un meilleur environnement pour l’ensemble des citoyens vivant en Amérique du Nord.

Les recommandations 1 et 2 ont pour objectif :
• la mise en place de normes du travail de base pour l’ensemble du territoire;
• d’améliorer la défense des droits des travailleurs;
• de favoriser la protection des emplois;
• de veille à l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble des citoyens œuvrant à l’intérieur de l’ALÉNA;
• de faire assumer une juste part de responsabilité aux entreprises qui prennent des décisions d’affaires (ex.: délocalisation sans motif raisonnable), causant du tort aux citoyens et à l’économie nationale des pays affectés.

Les recommandations 2 et 3 ont pour objectif :
• de rendre plus cohérentes, efficaces et équitables les procédures de règlement des différends à l’intérieur de l’accord et dans chacun des pays membres;
• de favoriser le dialogue, la médiation et les ententes négociées pour le règlement des différends commerciaux;
• de développer une structure tripartite qui vise la valorisation et l’utilisation innovantes des matières premières à l’intérieur de l’ALÉNA;
• de mettre en place un mécanisme en matière d’octroi de contrats publics favorisant les entreprises qui sont actives en Amérique du Nord.

Nous tenons à spécifier que nous n’avons aucunement la prétention de dresser un portrait exhaustif de l’ensemble des problématiques de l’ALÉNA. Ainsi, afin de demeurer clairs et concis, nous avons pris la décision d’exposer uniquement les enjeux qui touchent le plus directement nos membres, qu’ils proviennent de la première mouture de l’accord ou qu’ils fassent partie des négociations actuelles.

Recommandation 1 : donner un réel pourvoir à l’Accord nord-américain de coopération dans le domaine du travail (l’ANACT) et à la Commission de coopération dans le domaine du travail.

Mise en contexte

Malgré la richesse créée, malgré l’augmentation des échanges commerciaux à l’intérieur de la Zone et malgré le faible taux de chômage actuel dans les trois pays nous ne pouvons pas dire que l’ALÉNA est une réussite totale. À vraie dire, si les prochaines négociations sur l’accord, n’arrivent pas à améliorer les conditions de vie, les droits et les conditions de travail de l’ensemble des travailleurs et des citoyens, cette démarche aura été inutile. Parmi les solutions possibles pour y arriver, nous recommandons de redéfinir le rôle de la Commission de coopération dans le domaine du travail.

Selon le texte de l’accord, l’ANACT poursuit sept « objectifs » :

1- Améliorer les conditions de travail et du niveau de vie;
2- promouvoir, dans la mesure du possible, les 11 principes relatifs au travail pour protéger les droits des travailleurs;
3- encourager la coopération pour favoriser l’innovation et relever les niveaux de productivité et de qualité ;
4- favoriser la publication et l’échange d’informations, la production et la coordination de données et la réalisation d’études conjointes ;
5- élaborer des activités de coopération en matière de travail fondées sur la réciprocité des avantages;
6- promouvoir l’observation et l’application effective, par chacune des parties, de sa législation du travail ;
7- favoriser la transparence dans l’administration de la législation du travail.

Les principes pour la défense des droits des travailleurs :

1- La liberté d’association;
2- le droit à la négociation collective;
3- le droit de grève;
4- l’interdiction du travail forcé;
5- l’interdiction du travail des enfants;
6- les normes minimales d’emploi;
7- l’égalité de rémunération entre hommes et femmes;
8- la prévention des
accidents de travail et des maladies professionnelles;
9- l’indemnisation en cas d’accident de travail;
10- l’indemnisation des maladies professionnelles;
11- la protection des travailleurs migrants.

Trois principes peuvent faire l’objet de pénalités (voire de sanctions) :

– Le travail des enfants;
– le salaire minimum;
– la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles;

Bien que l’ANACT et la structure qui en découlent aient pu dénoncer certaines situations et permettre une meilleure communication et collaboration entre les acteurs du monde ouvrier, nous pouvons dire que cette démarche est un échec. Alors que des compromis ont été consentis dans l’ALÉNA en ce qui concerne la souveraineté des États afin de faciliter les activités de commerce des investisseurs et des entreprises, aucun équivalent n’a été fait pour protéger les travailleurs sur les dangers potentiels d’une libéralisation du commerce.

Le fait que l’ANACT soit rapidement tombé dans l’oubli, que plusieurs acteurs se soient désengagés et que le financement ait été graduellement coupé crée l’impression que la volonté affichée au départ pour la défense des droits des travailleurs à l’intérieur de l’ALÉNA n’était qu’une illusion et que les seuls objectifs prioritaires sont de favoriser, d’augmenter et de protéger le commerce, les investissements ainsi que les droits des entreprises. Il faut rétablir l’équilibre des forces en donnant à la Commission de coopération dans le domaine du travail le rapport de force nécessaire pour atteindre ses objectifs et améliorer la situation des travailleurs.

Voici ce que nous proposons pour remédier à la situation :

1. Délaisser la doctrine des bonnes intentions et donner un réel pouvoir de sanctions de coopération et de supervision à la Commission ainsi que les ressources nécessaires pour la rendre plus efficace et qu’elle soit en mesure de réellement favoriser l’amélioration des conditions de travail sur la base des sept objectifs et des 11 principes mentionnés précédemment.

2. La mise en place de normes du travail de base couvrant l’ensemble du territoire de l’ALÉNA en se servant des conventions et recommandations de l’Organisation internationale du travail afin de favoriser la disparition de lois comme les législations américaines de type “right-to-work” qui empêchent les travailleurs de défendre efficacement leurs droits et affaiblissent les mormes de travail.

3. Mettre en place une véritable charte sociale pour les travailleurs qui comprendra une marche à suivre pour atteindre les objectifs fixés dans un temps défini.

4. Favoriser la participation des organisations syndicales, des organismes de défenses des droits à l’intérieur de la Commission.

5. Augmenter la diffusion des situations problématiques et dénoncer plus fortement les pratiques antisyndicales des entreprises et la persécution des travailleurs désirant s’organiser pour négocier leur contrat de travail.

6. Créer et rendre disponibles des statistiques sur le monde du travail dans les pays de l’ALÉNA.

7. Prévoir des mécanismes pour exclure les entreprises qui ne respecteront pas les normes du travail décrites au point 2 des contrats publics.

Recommandation 2: développer des mécanismes de responsabilisation des entreprises relativement aux impacts sociaux et économiques qu’ils engendrent en sous-traitant ou délocalisant des emplois hors de la zone de l’ALÉNA.

Mise en contexte

La sous-traitance, lorsqu’utilisée pour répondre à des besoins spécifiques demandant des compétences techniques particulières ou tout simplement pour répondre à des augmentations soudaines et temporaires de la production, peut être considérée comme un atout. Cependant, lorsqu’elle s’applique à une simple logique de profit pour l’employeur, elle affecte grandement les intérêts des travailleurs et le développement des économies nationales. Il en va de même pour la délocalisation. Les salariés n’ont ni les moyens ni les instruments financiers leur permettant de s’assurer eux-mêmes contre les risques de chômage (impact psychologique et financier élevé). Pour assurer une plus grande justice, il est donc essentiel de tenter de responsabiliser les entreprises quant aux coûts sociaux de leurs licenciements.

Nous proposons donc de veiller à la mise en place, à l’intérieur de l’ALÉNA, de mécanismes qui visent à la protection et au maintien des emplois et des entreprises à l’intérieur de la zone de Libre-échange, le tout en maintenant un niveau de flexibilité qui permettra aux entreprises d’avoir accès à la délocalisation et la sous-traitance sous certaines conditions. Par ailleurs, une réévaluation des tarifs préférentiels en fonction des règles d’origine pour les produits provenant de l’extérieur de l’ALÉNA devrait être réalisée pour lutter contre l’exode des emplois.

Pour réaliser cette recommandation, nous proposons :

• de développer, au cours des présentes négociations, un système d’évaluation qui fixera le degré de responsabilités sociales et économiques que devra assumer une entreprise qui délocalise une partie ou l’ensemble de sa production, ou qui a recours à la sous-traitance à l’extérieur de l’ALÉNA;
• le système d’évaluation devrait être mis en application par un comité structurel constitué de représentants en provenance des trois pays couverts par l’Accord;
• les pénalités pourraient notamment celles d’assumer les coûts reliés à la relocalisation des travailleurs licenciés, de s’engager à remettre ses infrastructures à l’autorité compétente (ville, gouvernement d’État, gouvernement fédéral ou provincial), d’assumer une partie des coûts reliés à l’aide d’urgence (ex.: assurances-emploi) qui sera utilisée pour faire face à la situation engendrée par la décision de l’entreprise.
• réviser les tarifs en fonctions de règles d’origine pour les pays hors de l’ALÉNA et lorsque le produit entre en concurrence directe avec un pays fabriqué à l’intérieur de la zone.

Recommandation 3 : Améliorer les procédures de règlement des différends dans l’ALÉNA.

Mise en contexte

La version actuelle de l’ALÉNA prévoit quatre procédures de résolution de conflits :

1. Le chapitre 20

– Mécanisme général de règlement des litiges relatifs à l’application et à l’interprétation de l’ALÉNA.

– Allie consultation, négociation et arbitrage.

– Les accords parallèles en matière de travail et d’environnement reprennent une combinaison similaire de consultation, de négociation et d’arbitrage pour le règlement des litiges pouvant survenir dans ces secteurs.

2. Le chapitre 19

– Remplace la procédure judiciaire nationale habituelle de révision des décisions prises par l’autorité nationale compétente en première instance dans les pays de l’ALÉNA.

– Entend les demandes de révision et traite des questions de dumping et de droits compensateurs.

– Composé de cinq membres siégeant sur un panel binational.

3. Le chapitre 11

– Concerne les litiges entre un investisseur privé et un État membre.

– En matière d’investissement, si le conflit n’est pas réglé après consultation et négociation, l’investisseur peut procéder par voie d’arbitrage commercial international contre l’État ou l’entreprise étatique pour réclamer des dommages-intérêts.

– Les trois pays membres ayant consenti à l’arbitrage pour ce genre de litige, il n’est pas nécessaire d’avoir une clause expresse d’arbitrage pour utiliser ce moyen.

4. Le chapitre 14

– Disposition pour la résolution des conflits dans le domaine des services financiers.

– Suit les procédures énoncées au chapitre 20, sauf pour certains cas qui font appel à des experts en service financier.

En plus de ces procédures, les trois États membres de l’ALÉNA bénéficient de lois et de procédures favorisant l’utilisation de l’arbitrage commercial national et international. De nombreuses institutions d’arbitrages sont aussi établies dans les trois pays. Du point de vue normatif, les différentes procédures prévues à cet effet permettent aux parties de régler leurs différends commerciaux par arbitrage ad hoc ou institutionnel. Les trois pays reconnaissent l’efficacité d’une convention d’arbitrage et facilitent la reconnaissance et l’exécution des sentences s’y rattachant.

Cependant, il existe certaines failles dans la gestion des conflits commerciaux entre les pays d’Amérique du Nord qu’il est possible d’effacer en passant par l’ALÉNA. Les 23 années d’existence de l’accord nous ont montré que certaines de ces procédures de résolutions de conflit ont été dommageables pour les travailleurs et les États. Nous croyons que la prochaine version de l’accord devrait revoir les procédures de règlement des différends pour éviter de favoriser les intérêts particuliers au détriment de l’intérêt public. Les fonds publics n’ont pas à servir de compensation financière lorsqu’une législation, par exemple pour protéger nos milieux de vie, compromet le retour sur l’investissement d’une entreprise. Nous devons réorganiser ces instruments de façon à ce que les investisseurs ne puissent plus les utiliser en tant qu’arme dans une guerre commerciale ou pour influencer les décisions politiques des États. On ne résout pas un conflit commercial efficacement et équitablement en tentant d’écraser un concurrent ou en tentant de changer ou bloquer les décisions d’un parlement démocratique à coups de poursuite devant un tribunal commercial. D’ailleurs, en détournant de leurs missions les différentes procédures de résolution de conflits commerciaux, les multinationales exposent les secteurs névralgiques d’une économie nationale aux dommages collatéraux de la lutte entre les grandes sociétés pour des parts de marché. Ces dommages peuvent se traduire en perte d’emplois, en appauvrissement général de la société et en problèmes sociaux. Bref, tout le contraire des bienfaits que devait prétendument apporter l’ALÉNA à l’origine.

Propositions d’améliorations des procédures de règlements

1. Élimination du chapitre 11 de l’ALÉNA permettant à un investisseur ou une entreprise de poursuivre l’un des pays membres sous le simple prétexte qu’une décision politique entrave sa liberté de commerce et sa stratégie d’affaires. Ce mécanisme d’arbitrage est inéquitable et vient limiter les capacités d’intervention des États en ce qui a trait au développement de son économie nationale; de la protection de ses citoyens, de l’environnement ainsi qu’en matière de maintien et financement de ses services publics. Malheureusement, de ce que nous connaissons actuellement des volontés américaines, les États-Unis n’ont pas l’intention de toucher au chapitre 11. Ces derniers désirent plutôt abolir le chapitre 19, pourtant considéré comme un outil de révision pertinent dans l’équilibre des relations commerciales.

2. Le Canada, les États-Unis et le Mexique pourraient modifier leur législation afin qu’aucun tribunal étatique ne puisse entendre une cause en matière de commerce international ainsi qu’en matière de litiges relatifs à l’application et à l’interprétation de l’ALÉNA sans qu’au préalable une opération de médiation et de conciliation n’ait été menée. La gestion et la supervision de ces opérations pourraient être confiées au Centre d’arbitrage et de médiation commerciale pour les Amériques (CAMCA). Comme mentionné auparavant, l’instrumentalisation des tribunaux d’arbitrage commerciaux et des procédures de résolution de conflits de l’ALÉNA par certains acteurs économiques engendre une série d’impacts négatifs sur l’ensemble de l’Amérique du Nord. Ce mode de règlement des différends représenterait une solution efficace, reconnue et pourrait être utilisée dans les trois pays de l’ALÉNA. Cette méthode développerait une culture du compromis, favoriserait la négociation plutôt que la confrontation à l’intérieur de la zone de libre-échange et maintiendrait la qualité des échanges commerciaux. Cette démarche éviterait aussi que les tribunaux d’arbitrage commercial et les mécanismes de résolutions des conflits de l’ALÉNA soient utilisés de façon inappropriée à des fins de guerre commerciale entre concurrents, ou d’atteinte d’objectifs de rentabilité des entreprises privées aux dépens d’un État, de sa population ou de son environnement.

3. Augmenter le nombre de membres et le personnel du Centre d’arbitrage et de médiation commerciale pour les Amériques en tenant compte de ses nouvelles responsabilités (proposition #2), du volume du commerce entre les pays de l’ALÉNA, du nombre de litiges potentiels, de la diversité des domaines et types de litiges qui peuvent survenir, ce qui exige une diversité d’expertise disponible parmi les arbitres et médiateurs du CAMCA. Créé en 1995, le CAMCA regroupe les plus importantes institutions arbitrales des pays de l’ALÉNA. Le centre offre un service conjoint de résolution des différends commerciaux privés transfrontaliers qui surviennent dans la zone de l’ALÉNA et supervise l’application des règles, frais et procédures.

Recommandation 4 : Développer des mécanismes pour favoriser la constitution de chaînes d’approvisionnement et de chaînes de production à l’intérieur de l’ALÉNA.

Mise en contexte

Depuis l’entrée en fonction de l’ALÉNA, de nombreuses entreprises ont émergé ou sont venues s’installer sur le territoire nord-américain pour profiter de son environnement et de son espace économiques. Cependant, la course au plus bas coût de production, jumelée à une culture économique du court terme fait en sorte que certaines activités qui pourraient être produites à l’intérieur de l’ALÉNA nous échappent. Pour rendre l’accord plus dynamique, améliorer son niveau d’efficacité et son potentiel de coopération, il serait intéressant de s’attaquer à cet aspect en développant une structure pour favoriser le « made in NAFTA ». Pour y arriver, nous proposons deux mesures pour favoriser l’intégration des économies en y impliquant les différents secteurs industriels et le milieu de la recherche.

1. Développer une structure tripartite qui vise la valorisation et l’utilisation innovantes des matières premières à l’intérieur de l’ALÉNA.

– Cette structure devrait avoir le mandat de favoriser la collaboration des secteurs économiques primaire et secondaire de l’ensemble du territoire nord-américain.

– Elle devrait aussi veiller au développement de partenariats des milieux scolaires et de la recherche du Canada, du Mexique et des États-Unis pour la valorisation et l’utilisation innovante des matières premières et développer nos avantages comparatifs.

– mettre en valeur les entreprises dont l’essentiel des activités et des approvisionnements ont lieu à l’intérieur de l’Accord.

2. Mettre en place un mécanisme en matière de contrats publics en exigeant un minimum de contenu « made in NAFTA » dans les appels d’offres des différentes organisations du secteur public des pays membres lorsque le contexte le permet.

– Pourrait faire croître le pouvoir d’attraction des entreprises du territoire nord-américain;

– Favoriserait la création et le maintien d’emplois diversifié dans tous les niveaux de main-d’œuvre;

– limiterait le phénomène de délocalisation des entreprises vers des pays hors de la zone libre-échange.

Conclusion

Nous comprenons que la mise en application de ces propositions et le bon déroulement des négociations dépendent des objectifs à atteindre, des intérêts à défendre, des visions et de la volonté politiques des membres des délégations des trois pays. Cela dit, nous croyons que si les problématiques soulevées dans ce document ne peuvent être corrigées lors des présentes négociations, nous ne réussirons pas à faire profiter des bienfaits potentiels de l’ALÉNA à l’ensemble des habitants de l’Amérique du Nord. Enfin, vous avez le devoir de faire en sorte d’en arriver à des compromis qui feront passer le statut de l’ALÉNA de grande charte des droits des multinationales à celui de grande charte de l’équité et la prospérité des peuples d’Amérique du Nord.