Pensions: un récit de deux commissions (et demi) et de quatre provinces (par Louis Erlichman)

Pendant les dernières années qui ont précédé la plus récente débâcle des marchés boursiers, on a beaucoup entendu parler d’une crise des pensions au Canada. L’éclatement de la bulle des marchés technologiques en 2000-2001 et la chute des taux d’intérêt ont fait en sorte que les promoteurs des régimes de retraite à prestations déterminées ne pouvaient plus bénéficier des suspensions de cotisations auxquelles ils s’étaient habitués. Au contraire, ils ont dû injecter des sommes considérables dans leurs régimes.
Malgré que les surplus de caisses de retraite étaient révolus, de nombreux employeurs se plaignaient de décisions judiciaires ayant pour effet de restreindre leur droit inconditionnel de toucher le montant intégral de ces surplus, décisions qu’ils qualifiaient d’inéquitables. Dans le nouvel environnement, les régimes de retraite interentreprises faisaient face à de l’incertitude quant à la nécessité de planifier en vue d’une liquidation peu probable.
Le pourcentage de travailleurs bénéficiant d’un régime de retraite a progressivement baissé (tout comme le taux de syndicalisation d’ailleurs; la majorité des travailleurs syndiqués bénéficient d’un régime de retraite, ce qui n’est pas le cas d’une majorité de travailleurs non syndiqués). De plus, les lois sur les pensions en vigueur dans la plupart des provinces canadiennes n’ont pas fait l’objet d’une refonte en profondeur depuis 15 ou 20 ans.
L’Ontario a marqué le pas il y a quelques années en nommant le professeur de droit et arbitre Harry Arthurs au poste de commissaire responsable d’examiner la législation provinciale sur les pensions. Avec l’aide d’experts syndicaux et patronaux en matière de pensions, Arthurs a commandé un certain nombre d’études de recherche, tenu des audiences poussées et publié son rapport final en novembre 2008.
L’Alberta et la Colombie-Britannique ont suivi l’Ontario en nommant une « commission mixte sur les normes applicables aux régimes de pensions », présidée par deux avocats spécialisés en pensions représentant les intérêts des employeurs. Au terme d’un processus quelque peu moins exhaustif (ils ont eu recours à la recherche déjà menée par la Commission Arthurs et tenu moins de consultations), ils ont également publié un rapport en novembre 2008.
Enfin, même si le gouvernement fédéral a aussi affirmé qu’il fera étude et que d’autres provinces risquent de faire de même, la Nouvelle-Écosse a aussi créé une commission d’examen des pensions, présidée par l’ancien président de La Maritime, laquelle a accouché d’un exposé de position soumis à une discussion en octobre 2008, avant de produire son rapport final.
Il est intéressant de comparer les rapports et les recommandations qui y sont formulées.
Rapport de l’Ontario
Arthurs a intitulé son rapport Un juste équilibre. Fallait s’y attendre, cet ancien arbitre a tenté d’établir un équilibre entre des intérêts divergents au moment de formuler ses recommandations. En ce qui concerne les membres de régimes, il recommande l’acquisition immédiate de droits aux prestations (à l’heure actuelle, seul le Québec l’oblige), le prolongement des prestations acquises et l’imposition de certaines restrictions sur les suspensions des cotisations des employeurs. De plus, Arthurs propose d’augmenter la couverture maximale prévue au Fonds de garantie des prestations de retraite.
Pour ce qui est des employeurs, il accorderait un accès bonifié aux surplus, particulièrement en cas de fusions, de divisions ou de liquidations partielles de régimes. Il rejette toutefois la prétention des employeurs voulant que la couverture augmenterait s’ils avaient la main mise sur les surplus.
Rapport de l’Alberta et de la Colombie-Britannique
Le rapport de l’Alberta et de la Colombie-Britannique présente un ensemble de recommandations plutôt unilatérales. On n’y recommande aucune amélioration des normes. L’accent est plutôt mis sur des efforts visant à rendre les régimes moins « onéreux » et plus attrayants pour les employeurs, en accordant à ces derniers un accès encore plus facile aux surplus et en assouplissant la réglementation.
Exposé de position de la Nouvelle-Écosse
La commission de la Nouvelle-Écosse adopte une approche différente. Elle propose un ensemble de règles de capitalisation qui seraient considérablement différentes de ce qui existe dans toutes les autres provinces canadiennes. L’impact global de la proposition est difficile à évaluer. L’exposé néo-écossais est moins poussé que les autres rapports, mais il propose l’acquisition immédiate de droits aux prestations et l’abolition des dispositions en matière de prestations acquises.
Points communs
À certains égards, les trois rapports arrivent à des consensus. Les rapports de l’Ontario et de l’Alberta/la Colombie-Britannique élimineraient les exigences de capitalisation en cas de déficit de solvabilité/liquidation des régimes de retraite interentreprises. Les trois rapports recommandent des modèles de régime nouveaux ou moins courants, particulièrement des régimes à entreprise unique ou interentreprises où les responsabilités en matière d’administration et de capitalisation sont partagées entre les membres et les employeurs.
L’ensemble des rapports recommande l’élimination des dernières restrictions de fond qui limitent les placements de fonds de pension, soutenant que les régimes – particulièrement les grands régimes aux bonnes capacités d’analyse – peuvent très bien investir sans surveillance en vertu de vagues principes de prudence. Cette recommandation favorable à une plus grande déréglementation est troublante étant donné que l’histoire récente a démontré que de grands investisseurs « avertis », menant leurs activités dans un contexte de faible réglementation et d’examen limité du public, peuvent très bien provoquer des crises financières.
Enfin, chacun des rapports propose la mise sur pied d’un régime complémentaire volontaire provincial pour étendre la couverture à la majorité des travailleurs qui ne bénéficient actuellement pas d’un régime de retraite dans leur milieu de travail. En fait, les gouvernements de la Colombie-Britannique et de l’Alberta ont déjà annoncé leur intention d’aller de l’avant avec un régime « ABC » conjoint.
Malgré l’attrait du concept d’un régime public plus avantageux que les actuels REER grâce à des économies d’échelle, il reste à voir si les gouvernements conservateurs livreront un régime crédible capable de concurrencer notre industrie gonflée des REER. Dans d’autres pays, les régimes nationaux d’épargne n’ont généralement bénéficié qu’aux cabinets de gestion percevant des frais de placement.
Tout aussi suspect est à savoir si un nouveau régime volontaire (malgré une disposition de participation automatique comme on propose pour le régime ABC) se traduirait réellement par une augmentation du taux de couverture ou simplement par un transfert de membres de régimes existants.
Le Canada dispose déjà de régimes efficaces et pratiquement universels : le Régime des pensions du Canada et le Régime des rentes du Québec. Les régimes de pension de l’État (RPC/RRQ, Sécurité de la vieillesse, Supplément de revenu garanti) assurent aujourd’hui la moitié du revenu total des personnes âgées au Canada. Si les revenus de retraite sont inadéquats, le moyen le plus économique et simple de redresser la situation consiste à rehausser les prestations publiques. Il est important de s’assurer que les nouveaux régimes provinciaux ne finissent pas par affaiblir le régime public ou porter entrave à des améliorations qui bénéficieraient à la vaste majorité des travailleurs canadiens.
Maintenant, nous attendons les propositions législatives des gouvernements provinciaux, qui devraient nous en dire long sur les intérêts qu’ils cherchent à protéger.