Les mécaniciens, les pauses-café et notre avenir – par Carlos DaCosta

par Carlos DaCosta
Les pauses-café permettent de prendre quelques minutes pour se détendre et entamer une conversation avec ses collègues de travail au sujet de choses qui nous préoccupent. Des changements importants dans l’industrie de l’aviation du Canada et des événements mondiaux catastrophiques qui ont eu lieu durant la dernière décennie ont refroidi l’ambiance dans le milieu de travail.
Cet article à apparu dans AviNation, printemps 2008 (Téléchargez, PDF)
Plusieurs d’entre nous ont fait leurs débuts dans le domaine de l’aviation et avaient un emploi lié aux aéronefs, parce que c’était un grand plaisir de travailler avec ces appareils à voler. Qu’il s’agissait de les regarder décoller, de les faire voler comme passe-temps, de les réparer ou de voyager autour du monde, nous avions décidé de travailler dans cette industrie afin de rester près de ce type d’appareil. Un grand nombre de mécaniciens apprécient la technologie de pointe utilisée à bord des aéronefs, car la réparation de ces derniers nous tient au courant des nouveaux matériaux et de la nouvelle technologie.
Au début de ma carrière durant les années 1970, nous avions des discussions intéressantes pendant nos pauses-café au sujet, entre autres, des outils Snap-On les plus récents ou des nouveaux liquides hydrauliques qui étaient moins dommageables pour nos yeux. Les temps ont bien changé. Depuis ces premiers jours d’innocence, le Canada a beaucoup souffert à la suite des effets graves liés à la crise du SRAS durant laquelle certaines entreprises ont dû être protégées en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) ou ont même fait faillite. Et nous n’oublierons certainement pas les événements du 11 septembre 2001 qui ont réorganisé notre mode de vie, plus particulièrement dans le domaine de l’aviation, où beaucoup de plaisir et de joie ont disparu en conséquence. De tels événements ont également modifié la nature de nos discussions durant les pauses-café.
De nos jours, les mécaniciens se demandent s’il restera une industrie de l’aviation au Canada et si l’entreprise pour laquelle ils travaillent sera en mesure de survivre à la dernière augmentation des prix déja élevés du pétrole. Les discussions au sujet des systèmes de gestion de la sécurité (SGS), de l’absence d’une bonne protection pour les dénonciateurs, de la délocalisation mondiale des travaux d’entretien, des nouvelles histoires sur les entreprises qui perdent des revenus en raison de la réduction des vols, ou du stationnement des anciens aéronefs, remplacent maintenant les discussions antérieures qui avaient lieu durant les pauses-café. Les nouveaux sujets sont très inquiétants, car ils ne sonnent non seulement l’abolition de nos emplois, mais aussi le potentiel de mettre les employeurs en faillite et de faire disparaître l’industrie de l’aviation au Canada.
Déréglementation du transport aérien
Le Canada a entamé les années 1980 avec une structure réglementée de transport aérien à trois niveaux. En mai 1984, le ministre des Transports a ordonné à la Commission canadienne des transports de mettre fin à sa réglementation économique (contrôle des itinéraires, des tarifs ou du type d’aéronef) du secteur du transport aérien, ouvrant ainsi les portes du marché canadien à tous les transporteurs aériens sous contrôle canadien. La déréglementation intérieure a été officialisée dans la Loi de 1987 sur les transports nationaux. Un ralentissement de l’économie avait déjà eu un effet sur le marché du transport aérien dans les années 1990, bien avant les événements du 11 septembre 2001, et avait réduit davantage la circulation et le rendement, plus particulièrement dans le marché entre les É.-U. et le Canada. À la suite de la déréglementation, beaucoup de nouvelles compagnies aériennes ont vu le jour et beaucoup se sont éteintes. De plus, le Canada a connu un grand nombre de fusions et de faillites au cours des années 1990. Aucun d’entre nous, et certainement aucun des employés concernés, ne sont prêts à oublier la fusion entre les deux principales compagnies aériennes du Canada et le jour où la nouvelle compagnie aérienne Air Canada a demandé la protection en vertu de la Loi sur la faillite.
Pour les employés dans le secteur du transport aérien, cela demeure une période instable et troublante. Au cours des deux dernières décennies, une série d’échecs des compagnies aériennes a entraîné la mise à pied d’un grand nombre d’employés du transport aérien. Dans tout le secteur, les menaces de fermeture, la sous-traitance et ses retombées ont créé un climat d’insécurité et de peur auprès des mécaniciens et des étudiants qui envisagent de faire carrière dans le domaine de l’aviation.
Les parcours internationaux sont attribués aux transporteurs canadiens selon les accords bilatéraux de service aérien, bien qu’il y ait une élimination progressive de ce procédé. Le partage de code et les alliances internationales ont également servi à «?libéraliser?» le marché international. Le gouvernement canadien commence à discuter de l’exigence de propriété canadienne de 75 p. 100 pour les transporteurs canadiens (favorisant les transporteurs sous «?pavillon de complaisance ») et réclame le «?droit de cinquième liberté?» et des ententes sur le cabotage avec les É.-U.
Le tout a eu un effet sur le secteur de l’aviation non seulement au Canada, mais partout dans le monde. La mondialisation a radi-calement changé nos vies et notre environnement de travail.
Préoccupations concernant le SGS et le projet de loi C-7
Quand le secteur du transport aérien a été déréglementé au Canada au milieu des années 1980, on nous a assuré que la déréglementation économique ne mènerait pas à celle de la sécurité. Depuis, la capacité réglementaire de Transports Canada a été affaiblie. Les mécaniciens trouvent dangereuse l’intention du gouvernement de se décharger de la réglementation et du contrôle de la sécurité en faveur du secteur privé et s’inquiètent de l’utilisation qui sera faite du SGS dans les postes d’entretien du Canada et à l’étranger. Si Transports Canada a du mal à bien contrôler le SGS au Canada, que dire de son contrôle dans les postes d’entretien étrangers? (Aux É.-U., la FAA a avoué qu’il y a un manque de subvention adéquate; à la suite de cet aveu et de protestations du public, un nouveau projet de loi appelé Loi sur la salubrité de l’air (S. 3090) a été déposé afin d’accroître considérablement la surveillance exercée par la FAA sur les postes d’entretien étrangers et l’entretien en sous-traitance.)
Le projet de loi C-7, tel qu’il est écrit, menace de miner le processus de dénonciation existant, qui assure une certaine protection aux employés qui font rapport de pratiques de travail dangereuses. Si un transporteur ou une compagnie de service n’a pas de responsabilité au-delà des exigences de son propre SGS, à qui un employé inquiet pourra-t-il signaler les erreurs et ses préoccupations liées à la sécurité? Le fait de signaler un incident uniquement par l’entremise du SGS, sans la protection de l’anonymat, est une préoccupation chez les mécaniciens et empêche l’atteinte de niveaux élevés de sécurité dans l’aviation. Dans certains cas, un mécanicien pourrait faire l’objet de représailles et possiblement nuire à sa carrière s’il signale un incident.
Pour augmenter le niveau de sécurité dans l’aviation, il nous faut un système où il n’y a aucune conséquence pour les dénonciateurs anonymes et qui permet ainsi la détection de pratiques dangereuses, suivie d’une enquête et d’une rectification par un tiers des situations susceptibles de présenter un danger.
Délocalisation des travaux d’entretien
Selon une vérification récente du gouvernement américain, près de 70 p. 100 de l’entretien lourd sur les aéronefs commerciaux américains se fait maintenant à des postes d’entretien étrangers. Les mécaniciens craignent que cette tendance ne détruise l’industrie de l’aviation en Amérique du Nord, ce qui fait qu’il sera plus difficile de trouver de bons emplois stimulants dans l’aviation. Ils estiment que l’industrie et le gouvernement canadien les ont abandonnés et que leur avenir est sombre. Il s’agit d’une question sur laquelle tous les Canadiens et toutes les Canadiennes doivent se pencher afin de s’assurer de ne pas perdre cette industrie au profit d’autres pays, comme cela s’est produit dans le secteur de la fabrication. Un bref regard sur les effets dévastateurs de la disparition du secteur de la fabrication devrait être suffisant pour secouer les décideurs parlementaires et les pousser à protéger cette industrie indispensable. Jusqu’à maintenant, le message semble toutefois se perdre quelque part dans la stratosphère.
La délocalisation des travaux a aussi eu pour effet l’élimination de nombreux programmes d’apprentissage des métiers hautement spécialisés. Dans les moments de pénurie de travailleurs qualifiés, la majorité des entreprises n’arrivent pas à embaucher les personnes compétentes et doivent voler des travailleurs d’autres entreprises ou embaucher des travailleurs d’autres pays. Les problèmes se transmettent alors aux collèges et aux étudiants qui envisagent de faire carrière dans le domaine de l’aviation. En outre, les petites entreprises doivent se démener pour trouver des remplaçants, ce qui fait recommencer ainsi le cycle et contribue à endommager davantage notre structure sociale. Si un jour l’industrie de l’aviation du Canada prenait de l’expansion, nous ne serions pas en mesure de faire face au changement, car il n’existe aucune structure pour former suffisamment de techniciens qualifiés afin de satisfaire à la demande.
Prix élevés du pétrole
Au dernier décompte, douze compagnies aériennes à travers le monde avaient fait faillite en raison des prix élevés du pétrole. On aborde souvent ce sujet aux pauses-café ces jours-ci, que l’on porte une combinaison ou un costume-cravate. Tout le monde se préoccupe du prix élevé du pétrole et de son incidence sur nos vies.
Où tout cela s’arrêtera-t-il? Lorsqu’on ajoute cette nouvelle préoccupation à toutes les autres, il devient plus difficile de prédire où l’industrie de l’aviation aboutira et quels changements permanents s’effectueront.
L’avenir
En dépit de toutes les préoccupations mentionnées ci-dessus, plusieurs membres de l’AIMTA sont encore passionnés par l’aviation et la carrière qu’ils ont choisie. L’entretien des avions est une profession hautement spécialisée et offre d’excellentes occasions d’emploi pour les générations futures.
Y a-t-il une volonté politique au Canada pour prendre l’initiative et changer l’avenir très sombre auquel fait face l’industrie de l’aviation? Est-ce que les Canadiens et les Canadiennes auront la prévoyance et la volonté de reprendre le statut de pionnier de l’aviation malgré toutes les forces extérieures auxquelles ils font face? Espérons-le! Nous pourrons alors recommencer à parler des outils.

L’auteur Carlos DaCosta est mécanicien d’aéronefs retraité. Au cours de ses 32 années de service chez Air Canada, il a travaillé sur les avions DC-9, DC-8, B-747, B-767 et L-1011 Tri Star, ainsi que l’Airbus A-340. Il s’est ensuite impliqué au sein du syndicat. Lorsqu’il a pris sa retraite d’Air Canada en 2006, l’AIMTA a embauché à titre de coordonnateur pour le transport aérien, et il est responsable du transport à l’échelle du Canada. Il s’occupe des problèmes relatifs à l’industrie de l’aviation et aide à prendre position dans des domaines comme la sécurité de l’aviation et les RAC. M. DaCosta est coprésident du conseil d’administration du Conseil canadien de l’entretien des aéronefs. En outre, il rédige régulièrement des articles dans la rubrique qui lui est réservée sur le site Web canadien de l’AIMTA, soit la rubrique Connexions.
Toutes les photos dans cet article ont été prises par l’AIMTA à l’entreprise Field Aviation East Ltd.
L’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA) est le plus gros syndicat du secteur du transport aérien au Canada et en Amérique du Nord et représente les travailleurs du transport aérien du Canada depuis près de 70 ans. L’AIMTA représente quelque 50 000 membres à travers le Canada, dont environ 16 000 proviennent du secteur de l’aviation et environ 7 000 sont des techniciens travaillant dans l’industrie de l’entretien des aéronefs. L’AIMTA représente les techniciens d’Air Canada, d’Air Transat, de Bearskin Lake Air Services, de Bombardier, d’Innotech Aviation, de Land Mark Aviation, de MTU Maintenance Canada et de Piedmont Hawthorne Aviation, etc. Elle représente également les travailleurs qui exercent des fonctions de soutien à l’aviation dans des compagnies comme Air Consol Aviation Services, Air Labrador, Allied Aviation, Consolidated Aviation Fueling, Irving Aviation, PLH Aviation Services et Skycharter.